Une véritable structuration du dialogue entre la diaspora et l'Arménie les renforcerait toutes les deux ; des mesures rapides doivent être prises.... L'entretien de Daniel Kurkdjian avec le magazine Yerevan Online

Une véritable structuration du dialogue entre la diaspora et l'Arménie les renforcerait toutes les deux ; des mesures rapides doivent être prises. Entretien avec Daniel Kurkdjian, personnalité publique influente franco-arménienne

 

L'art de la diplomatie et la réflexion stratégique se conjuguent en la personne du président du Conseil Français-Arméniens, Daniel Kurkdjian, dont la vie et la carrière s'entremêlent entre les deux capitales, Paris et Erevan. Ce Français d’origine arménienne   a apporté une énorme contribution au développement des relations entre les deux pays : son rôle dans l'expression des problèmes de l'Arménie et dans la protection des intérêts de l'élite politique française est inestimable.

Son regard est toujours tourné vers l'avant, ses convictions sont tenaces. Pour Daniel Kurkdjian, la diaspora arménienne n’est pas seulement un patrimoine culturel, mais aussi une ressource stratégique qui doit être utilisée dans l’intérêt de l’Arménie. Les paroles de Daniel Kurkdjian sont un appel à l'action. Son interview est une invitation à ouvrir les yeux sur le potentiel inexploité de la diaspora arménienne et appelle à une utilisation plus pertinente

 

- M. Kurkdjian, en tant que président du Conseil Français-Arméniens et cherchant à promouvoir les intérêts de l'Arménie dans divers cercles français, quels progrès et quels problèmes voyez-vous dans la diplomatie commune ?

- Tout d'abord l’absence de dialogue entre l’Arménie et la diaspora française empêche de comprendre la ligne politique suivie par l’Arménie et par voie de conséquence interdit tout véritable soutien. On l’a clairement constaté lors de la question de l’Artsakh, malheureusement derrière nous maintenant. En effet concernant la question de la reconnaissance de l’Artsakh, il était difficile de demander au Président de la République Française de prendre une position que l’Arménie elle-même n’avait pas prise.

Afin d’éviter l’incompréhension, la crispation, voire la colère dans la diaspora il aurait fallu que s’instaure une communication, un échange avec le gouvernement arménien. Il ne s’agit évidemment pas d’interférer dans les décisions politiques de l’Arménie qui est un état souverain et démocratique dont les institutions politiques lui permettent de prendre les décisions qu’elle juge appropriées. Il s’agit de disposer d’un canal d’information permettant à la Diaspora de comprendre la situation certainement très complexe dans laquelle se trouve l’Arménie et lui conférer ainsi les moyens de soutenir ses décisions. A défaut, l’incompréhension qui s’instaure entre l’Arménie et sa diaspora devient contreproductive. 

 

- Pouvons-nous dire que c'est le problème du gouvernement et que le gouvernement ne fait pas suffisamment d’efforts pour utiliser correctement le potentiel de la diaspora ?

Pour faire avancer les choses, il est préférable d’envisager ce qui devrait être plutôt que de critiquer ce qui a été fait. L’histoire de l’Arménie est faite d’une succession de périodes et d’évènements qui l’ont convaincue que son salut ne dépendait que d’elle-même. Elle n’a donc jamais vraiment déployé durablement une politique de relations avec la diaspora même si ses différents ministres et hauts commissaires en ont eu la volonté. Les questions de politiques intérieures et de protection de ses frontières ont absorbé l’essentiel de son énergie. Quant à la diaspora, elle a trop souvent campé sur des positions et des clivages issus de son passé politique. Elle a du mal à intégrer la différence culturelle très nette qui existe entre ses approches arméniennes « occidentales" et celles de l’Arménie. La diaspora française est politiquement représentée par le Conseil de Coordination des Associations Arméniennes de France (CCAF). En raison des prises de position politiques de sa présidence cette structure entretient de très mauvaises relations avec le gouvernement actuel ce qui nuit considérablement à la coopération entre l’Arménie et sa diaspora . Il s’agit d’une faute lourde qui affecte sa crédibilité auprès des pouvoirs publics d’une part et affaiblit considérablement le sentiment de sa représentativité auprès des membres de la diaspora d’autre part.

C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles ceux qui ont ressenti ces faiblesses ont  décidé de créer le Conseil Français-Arméniens avec pour objectif d’élargir et de promouvoir l’Arménité en France et développer  les relations franco-arméniennes tout en  restant à l’abri des influences politiques tant en France qu’en Arménie.. Les diasporas turque et azerbaïdjanaise sont partout présentes littéralement partout.  Elles sont aujourd’hui très actives dans les grandes villes de France, et déploient un lobbying très puissant pour la promotion des intérêts de leur pays. Elles possèdent des moyens financiers considérables. Il faut donc doter la diaspora arménienne d’un cadre apaisé et des moyens destinés à faire face à ce nouvel environnement. L’arménophilie qui règne en France, tant de la part du pouvoir politique, à tous les niveaux, que de la société civile est un atout capital sur lequel on peut s’appuyer.

- Je vous prie de parler un peu de la structure que vous dirigez aujourd'hui et qui est appelée à renforcer et à développer les relations entre l'Arménie et la France.

- Nous sommes un groupe de français d'origine arménienne qui ont une expérience dans les domaines entrepreneurial et associatif. Nous sommes fermement convaincus de la nécessité de réformer les structures de la diaspora afin d’accroître leur portée et de renforcer leur influence. C'est l'absence d'une organisation dans la diaspora qui discute, concentre et promeut toutes les questions liées aux Arméniens qui a motivé la création du Conseil des Arméniens de France et le développement de ses activités.

La mission du Conseil des Arméniens de France est, d'une part, d'élargir et de renforcer l'action, l'influence et la communication des Arméniens en France, et d'autre part, de développer les relations franco-arméniennes dans tous les domaines : culture, économie, recherche, éducation, droit, santé, etc. Le Conseil franco-arménien est construit sur la base la plus inclusive possible, embrassant toute manifestation de bonne volonté, sans aucune distinction.

-Monsieur Kurkdjian, y a-t-il aujourd'hui un danger que la France, qui soutient l'Arménie depuis des siècles, change après un certain temps sa position sur la question arménienne, parce que le lobbying azerbaïdjanais et turc s'intensifie en France aujourd'hui ?

- Bien sûr, il y a un danger, et ce pour plusieurs raisons :

La première est que les relations diplomatiques avec la Porte Sublime, l’empire Ottoman, et aujourd’hui la République Turque sont plus anciennes que celles avec l’Etat arménien.

Ensuite les relations diplomatiques sont fortement concurrencées par la real politik qui l’emporte très souvent. On en a un exemple éclatant avec la question de l’approvisionnement européen en gaz , soi-disant azerbaïdjanais mais que tout le monde sait provenir de Russie, qui conduit à parer l’Azerbaïdjan et son dirigeant de toutes les vertus.
Il faut arrêter de penser que la proximité culturelle et le fait que l’Arménie a été le premier Etat à avoir adopté le christianisme  sont des atouts suffisants et durables.

La démographie et les moyens financiers des diaspora turque et azerbaïdjanaise leur permettent d’accroître considérablement leur influence en France. Face à eux, le financement des institutions culturelles, éducatives, humanitaires, sportives etc. arméniennes est réellement insuffisant.

C’est une raison supplémentaire pour mieux structurer la coopération avec l’Arménie sous tous les aspects cités ci-dessus.

 

- Où devons-nous chercher la solution à ce problème, comment cette coordination devrait-elle avoir lieu, qui devrait en être l'initiateur ?

- La diaspora, en coordination avec le gouvernement arménien, devrait sérieusement envisager la création d'une structure qui  serait chargée d’assurer la promotion et la défense des intérêts de l’Arménité dans  le monde et surtout auprès des Etats et instances internationales ayant à traiter des questions touchant de près ou de loin l’Arménie et les Arméniens.. Il peut s’agir par exemple du Congrès Mondial Arménien à l’image de ce que d’autres diasporas ont réussi à mettre en œuvre ; on pense bien évidemment au Congrès juif mondial. Une telle initiative a déjà été engagée dans le passé, notamment au lendemain de la seconde guerre mondiale, mais la géopolitique de l’époque n’a pas permis sa poursuite. Les conditions géopolitiques aujourd’hui sont certainement plus favorables. 

Une telle organisation n’a d’avenir que pour autant que le rôle de chacun est clairement défini et que le regard du gouvernement arménien dans les affaires de la diaspora tout autant que celui de la diaspora dans les affaires intérieures de l’Arménie sont clairement délimitées.

Dès lors que le gouvernement arménien résulte d’un processus d’élections démocratiques, comme c’est le cas actuellement, la diaspora devrait respecter les choix de politique intérieure, ce qui n’empêche nullement le dialogue, et le congrès mondial évoqué plus haut serait son enceinte naturelle d’expression.  

Une véritable coopération et la recherche de complémentarités sont indispensables pour écarter le risque d’assimilation intégrale de la diaspora. Et ce risque est d’autant plus grand que les deux piliers de la culture arménienne qui ont permis à cette nation de traverser les siècles, à savoir son alphabet et son Eglise sont en perte d’influence. Avec moins de 10 écoles journalières en France, la perpétuation de la langue n’y est actuellement assurée que par le flux récent d’Arméniens venus d’Arménie et d’Artsakh. Quant à l’église, sa fréquentation suit le mouvement général observé en Europe! Il est donc urgent de se ressaisir.

La coopération et la recherche de complémentarités évoquées ci-dessus permettront d’apporter un soutien à l’Arménie de façon plus efficace que les multiples initiatives humanitaires, économiques, culturelles, éducatives etc. le permettent aujourd’hui.  

 

Le conflit avec l’Azerbaïdjan et le risque de guerre qui lui est associé sont malheureusement  de nature à alimenter le pessimisme. Des réflexions et des initiatives comme celles évoquées ci-avant, et beaucoup d’autres  bien sûr, devraient contribuer à envisager l’avenir avec plus d’optimisme ainsi que  la longue histoire de l’Arménie nous y invite.

L'entretien en anglais:

https://www.yerevan.online/post/82740?fbclid=IwAR3EPZ0ZfJUKRyx1IDpjTITL7t_QbkhkIQ7xByCfKZEYlUYGFDwFnusigk0

 


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